Transferts d’actifs incorporels difficiles à évaluer : cadre fiscal et risques de rectification

Les transferts d’actifs incorporels entre entreprises d’un même groupe sont une pratique courante dans le cadre des opérations de restructuration, de gestion des droits de propriété intellectuelle ou d’optimisation fiscale. Cependant, lorsque ces actifs sont difficiles à évaluer, ils peuvent faire l’objet d’une rectification fiscale postérieure par l’administration, sur la base des résultats réels obtenus après la transaction.

L’article 238 bis-0 I ter du Code général des impôts (CGI) encadre cette problématique et donne à l’administration un droit de rectification spécifique, notamment lorsque les prévisions de valorisation initiale ne sont pas cohérentes avec les résultats futurs.

Dans cet article, nous analysons :
Quels actifs sont concernés ?
Comment l’administration fiscale peut rectifier leur valeur ?
Dans quels cas les entreprises peuvent contester une rectification ?
Les délais et procédures applicables à ces contrôles


1. Quels actifs incorporels sont concernés ?

Certains actifs incorporels sont particulièrement difficiles à évaluer au moment de leur transfert, notamment lorsqu’il n’existe pas de comparables de marché ou lorsque les prévisions financières sont incertaines.

A. Définition des actifs incorporels difficiles à évaluer (AIDV)

Selon l’article 1649 AH, II-E-2° du CGI, les actifs concernés sont ceux pour lesquels :
Il n’existe aucun comparable fiable au moment du transfert
Les prévisions des flux de trésorerie futurs ou des revenus sont trop incertaines
Le niveau de réussite du projet reste indéterminé

B. Exemples d’actifs concernés

Les principaux actifs visés sont :
Les brevets et droits de propriété intellectuelle en phase de développement
Les logiciels et algorithmes non encore commercialisés
Les molécules en développement dans l’industrie pharmaceutique
Les marques et noms de domaine dont la valorisation dépend d’un succès commercial futur


2. Comment l’administration fiscale peut-elle rectifier la valeur de ces actifs ?

L’administration fiscale dispose du pouvoir de rectifier la valeur des actifs incorporels transférés si elle constate que les résultats réels après la transaction diffèrent trop fortement des prévisions initiales.

A. Un ajustement basé sur les résultats futurs

Si une entreprise transfère un actif incorporel difficile à évaluer à une entité liée, et que les revenus générés dépassent significativement les prévisions, l’administration peut :
Réévaluer la valeur de l’actif a posteriori en se basant sur les performances réelles
Rectifier le montant du prix de transfert et réintégrer des bénéfices dans le résultat imposable
Appliquer des sanctions et des intérêts de retard en cas d’écart jugé excessif

B. Exceptions à cette rectification

Toutefois, l’administration ne peut pas procéder à une rectification si :
Le transfert est couvert par un accord préalable en matière de prix de transfert (APA), signé entre les administrations fiscales des pays concernés
L’écart entre la valorisation initiale et la valorisation basée sur les résultats réels est inférieur à 20 %
Une période de commercialisation de 5 ans s’est écoulée, après que l’actif ait commencé à générer des revenus auprès d’une entreprise non liée, et que l’écart constaté durant cette période soit inférieur à 20 %


3. Comment les entreprises peuvent-elles se défendre contre une rectification ?

Les entreprises concernées par une rectification fiscale sur la valorisation de leurs actifs incorporels disposent de plusieurs moyens pour contester la décision de l’administration.

A. Justifier les prévisions initiales

Pour éviter une rectification, l’entreprise doit être en mesure de fournir :
Une documentation détaillée sur la méthodologie de valorisation utilisée au moment du transfert
Les modalités de prise en compte des risques économiques, technologiques et financiers
Une analyse des événements prévisibles qui auraient pu influencer les résultats futurs

B. Prouver l’imprévisibilité des écarts constatés

Si la différence entre la prévision initiale et les résultats réels est significative, l’entreprise peut prouver que cet écart est dû :
À des événements imprévisibles survenus après la transaction (exemple : un changement réglementaire, une innovation technologique de rupture, une crise économique)
À la réalisation d’événements prévisibles dont la probabilité n’avait pas été sous-estimée ou surestimée

L’objectif est de démontrer que l’évaluation initiale était raisonnable compte tenu des informations disponibles au moment du transfert.


4. Quels sont les délais et les procédures applicables ?

A. Un droit de reprise prolongé pour l’administration fiscale

Contrairement aux rectifications fiscales classiques, l’administration dispose d’un droit de reprise spécial, qui lui permet d’examiner ces transferts sur une période de 6 ans après l’année d’imposition concernée (article L 171 B du LPF).

✔ Ce délai permet à l’administration de réévaluer la valeur d’un actif sur une longue période, en fonction de l’évolution des résultats réels.
✔ Cela signifie qu’une entreprise ayant transféré un actif incorporel difficile à évaluer en 2025 pourra faire l’objet d’une rectification jusqu’en 2031.

B. Absence de garantie contre une nouvelle vérification fiscale

Habituellement, une entreprise ne peut pas être soumise à plusieurs contrôles fiscaux sur une même période. Cependant, dans le cas des transferts d’actifs incorporels difficiles à évaluer, cette garantie ne s’applique pas.

✔ L’administration fiscale peut ainsi réexaminer un dossier plusieurs années après un premier contrôle, ce qui augmente l’incertitude pour les entreprises.


5. Comment sécuriser un transfert d’actif incorporel difficile à évaluer ?

Pour limiter les risques de rectification, les entreprises doivent :

Anticiper les justifications fiscales : établir une documentation détaillée des prévisions de valorisation et des méthodes utilisées
Mettre en place un accord préalable en matière de prix de transfert (APA) : cela permet de sécuriser la transaction vis-à-vis de l’administration fiscale
Évaluer les actifs en intégrant une marge de prudence : éviter les surestimations ou sous-estimations excessives
Mettre en place une veille réglementaire et un suivi des performances des actifs transférés : s’assurer que les prévisions restent en cohérence avec les résultats futurs


Conclusion

Les transferts d’actifs incorporels difficiles à évaluer sont particulièrement sensibles sur le plan fiscal, car leur valorisation initiale peut être remise en cause plusieurs années après. L’article 238 bis-0 I ter du CGI donne à l’administration fiscale un pouvoir de rectification basé sur les résultats postérieurs, ce qui accroît l’incertitude pour les entreprises.

Pour éviter un redressement fiscal et sécuriser la fiscalité de leurs transactions intra-groupe, les entreprises doivent soigner la documentation de leurs prix de transfert, anticiper les contrôles fiscaux et, dans certains cas, négocier un accord préalable en matière de prix de transfert (APA).

Chez LEXPERTAX, nous accompagnons les entreprises dans l’évaluation et la documentation de leurs actifs incorporels pour minimiser les risques fiscaux.

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